A quoi servent donc les charnières de la lorica segmentata ?

Tous les reconstituteurs antiques et tous ceux qui s’intéressent à l’armée romaine connaissent la fameuse « lorica segmentata » portée par les légionnaires romains du premier au troisième siècle de notre ère… Il s’agit d’une armure formée de plusieurs bandes d’acier, rivetée sur des sangles de cuir, ce qui lui permet d’allier mobilité et protection. Mais il y a sur cette armure quatre pièces très bizarres…

Epaulière 1

Epaulière 1

Nous avons déjà eu l’occasion de vous parler de cette armure dans trois articles de ce blog consacrés à sa construction (construire sa lorica segmentata, épisode 1, épisode2, fabriquer boucles et charnières…). L’article que voici est donc terriblement spécialisé, car il ne va parler que d’une partie des épaulières, et il ne s’agit nullement d’observations archéologiques mais de réflexions d’une personne qui les a fabriquées, portées et utilisées, et qui est bien perplexe…

Le haut du torse est protégé par une séries de pièces métalliques articulées, qui sont elles mêmes recouvertes, sur chaque épaule, de segments métalliques en demi cercle qui les recouvrent.

Epaulière 2

Epaulière 2

Au sommet de chaque épaule, on trouve sur les lorica de type Corbridge, et vraisemblablement de type Kalkriese, une pièce munie de deux charnières à laquelle sont fixées des « rabats » qui retombent derrière et devant le combattant (voir les images épaulière 1 et épaulière 2).

Si il y a une charnière, me direz vous, c’est sans doute parce que cette pièce est mobile. Ayant reconstitué il y a quelques années une segmentata de type Kalkriese (que l’on ne connaît que par quelque pièces), je me suis naturellement dit que les plus anciens modèles ne devaient pas bénéficier de toutes

Epaulière 3

Epaulière 3

les améliorations des suivants, et ai réalisé une articulation tout à fait fonctionnelle.

Celui qui voit l’armure se demande immédiatement, à quoi cela peut-il donc servir ? La réponse à cette pertinente question est à rechercher dans l’expérimentation… Quand on enfile sa lorica, un peu comme un gilet, les ptéruges de la subarmalis et les « manches » de la tunique sont un peu malmenées. Avoir une ouverture pour remettre de l’ordre dans ses petites affaires est donc bien utile (voir photo Epaulière 3).

Plaque d'épaule rivetée

Lorica segmentata Corbridge

Soit. Mais à l’usage, cette plaque articulée est une véritable plaie… Tout d’abord, dès que l’on court, elle se soulève et retombe en faisant un bruit de tôle qui n’est pas forcément très sympathique. Un jour,  j’ai toutefois bien compris que le vrai problème n’était pas là. Lors d’un affrontement avec quelques celtes bouillonnants, je suis mort. Cela arrive hélas en reconstitution, même aux meilleurs. Et comme tout mort qui se respecte, j’ai cru

Lorica segmentata Corbridge

Lorica segmentata Corbridge

bon de me laisser tomber au sol. Et là, surprise ! Dans la descente, la plaque a bougé, s’est entrouverte, et a choisi de se planter dans la terre. Cela complique un peu la descente, et rend la situation un peu inconfortable.

Du coup, j’ai compris pourquoi sur les modèles Corbridge, cette fameuse plaque est décorée d’une tête de rivet… Elle est tout bonnement fixée à l’une des trois sangles qui maintient les épaulières en place. On le voit très nettement sur les deux images de lorica segmentata de type Corbridge ci-contre.

Lorica Segmenatat Newstead

Lorica Segmentata Newstead

Alors du coup, à quoi cela peut il servir d’avoir une plaque articulée par une charnière rivetée sur une sangle qui l’empêche de bouger ? Cela donne un tout petit peu de souplesse à l’armure, mais sur cette pièce qui recouvre l’épaule, il n’y en a pas vraiment besoin. Au second siècle, la plupart des lorica segmentata, de type Newstead, vont d’ailleurs perdre leurs charnières, et cette protection du sommet de l’épaule constituée de trois pièces articulées par deux charnières va devenir une seule et unique pièce. Le schéma de Peter Connolly qui représente une Newstead dans le Russel Robinson est d’ailleurs évocateur : plus de charnière, un seul morceau…

Newstead à Charnières

Newstead à Charnières

Tout est donc logique me direz vous… mais ce n’est pas si simple ! Plusieurs modèles de lorica Newstead ont existé, et sur certaines, ces fameuses charnières perdurent ! La photo ci-contre, astucieusement nommée Newstead a charnières, montre une reconstitution d’un autre modèle, qui a conservé ses articulations, mais aussi le rivet qui les empêche de fonctionner.

Alors, que doit on penser ? C’est tout de même bien étrange et bien compliqué que de fabriquer des charnières pour ne pas les utiliser, ou si peu… Est-ce la tradition, le souhait de conserver une articulation décorative sur une pièce bien visible, autre chose ? La réponse reste à trouver…

 

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