« Le premier soldat de France »

La France redécouvre le patriotisme après les événements dramatiques que nous avons traversés, et remet en avant quelques fondamentaux : l’hymne national et le drapeau tricolore témoignent de nouveau de la grandeur de notre nation, et sortent enfin des stades où ils étaient relégués et encore tolérés. Quand on se promène dans les rues de nos villes, ce sont souvent les mêmes noms qui sont inscrits sur les plaques ou que l’on donne à nos établissements d’enseignements, et force est de constater que les soldats de France, les héros d’autrefois, ont été oubliés s’ils n’étaient pas maréchaux ou généraux. On leur préfère aujourd’hui les artistes. Leur exemple devraient pourtant nous inspirer, et leur mémoire devrait être honorée. C’est le cas d’Albert Séverin Roche.

Peu le connaissent, sinon peut-être les historiens et les passionnés de la Grande Guerre, et pourtant il fut appelé autrefois « le premier soldat de France » par le maréchal Foch lui-même. Son histoire est peu commune en effet. Comme beaucoup de Français à cette époque, il est issu d’une famille modeste de cultivateurs. Il naît en 1895 dans la Drôme. Quand la guerre éclate, il n’a que 19 ans, et il veut la faire. Mais sa chétive constitution lui vaut d’être inapte au service. Qu’à cela ne tienne, il fait son baluchon et s’enfuit de chez-lui en pleine nuit.

Au camp d’instruction il n’est pas apprécié et il est mal noté. Il s’en va, mais il est rattrapé et menacé de désertion. Il explique que son objectif n’est pas de fuir les combats, mais d’y aller. En juillet 1915, on l’envoie alors au célèbre 27e bataillon de chasseurs alpins, surnommé « les diables bleus » par les Allemands, déployé sur l’Aisne. Au cours de l’une de ses premières missions, il neutralise un nid de mitrailleuses et revient avec une dizaine de prisonniers. Restant un jour le dernier survivant sur une position, il fait croire à l’ennemi qu’elle est toujours fortement tenue en alignant sur le parapet les fusils de ses camarades décédés et en tirant avec alternativement.

Un autre jour, fait prisonnier avec son lieutenant blessé, il parvient à tuer ses gardiens durant son interrogatoire et à revenir dans son camps avec son lieutenant sur le dos, et 42 nouveaux prisonniers. Au total, le 2e classe Albert Roche aura fait à lui seul 1180 prisonniers, et sera blessé 9 fois, refusant toujours de quitter le front (il s’extrait même une balle lui-même). Au Chemin des Dames, son capitaine git blessé entre les lignes, il va ramper 6H sous le feu pour le rechercher, et 4H de plus pour le ramener. Epuisé, il s’endort dans un trou où il est trouvé par une patrouille qui voit en lui un déserteur. Il passe en jugement sans parvenir à se justifier et il est condamné à être fusillé aussitôt. Heureusement pour lui, l’officier sort de son coma et parvient à faire suspendre la sentence in extremis.

Foch découvre ses état de service et s’étonne qu’il n’ait aucun galon. Il le présent au balcon de l’hôtel de ville de Strasbourg après l’armistice et proclame : « Alsaciens, je vous présente votre libérateur Albert Roche. C’est le premier soldat de France ! » (l’Alsace redevient française après 47 ans). Albert n’a que 23 ans et reçoit plusieurs décorations, dont la légion d’honneur. Sa bravoure lui doit d’être désigné parmi les hommes qui choisiront le soldat inconnu et le porteront sous l’Arc de Triomphe à Paris. Il mangera aussi à la table du roi George V d’Angleterre. Il parlait en effet anglais, mais aussi l’allemand et l’arabe, appris auprès de ses compagnons de tranchée.

Il revient chez lui en 1925 et travaille comme modeste cantonnier. Il meurt quelques mois avant le début de la seconde Guerre Mondiale, fauché par la voiture de l’ancien président de la République, Emile Loubet, en descendant d’autobus, à 44 ans. Il fallut attendre 1971 pour qu’un petit monument soit érigé à sa mémoire, devant sa maison natale. Il n’a pas une rue à son nom, et sa vie n’est plus racontée.

 

Be Sociable, Share!