Le scutum des légionnaires romains (1ère partie)

A regarder les films, on a parfois un peu l’impression que le bouclier romain est resté inchangé durant toute l’histoire romaine : rectangulaire en forme de tuile. C’est bien sûr inexact. La première armée romaine, fortement influencée par les Etrusques, est partagée en plusieurs classes censitaires. Autrement dit, à chaque niveau de fortune correspond un équipement différent. Les plus riches portent le clipeus : grand bouclier rond et lenticulaire en bois recouvert de cuir de boeuf ou de bronze, d’environ 1m de diamètre. Il s’agit du même bouclier en dotation dans les phalanges grecques.

Les plus humbles ont quant à eux des boucliers plats et ovales faits de planches de bois recouvertes de cuir, ou même en osier, également tapissés de cuir pour les renforcer. Il faut voir dans ces derniers les ancêtres du scutum romain. Le mot scutum vient justement du fait de sa couverture en cuir.

Au IVe siècle avant notre ère, les lourdes phalanges romaines peinent à combattre une population montagnarde et belliqueuse d’Italie centrale : les Samnites.

Constamment en mouvement, harcellant l’ennemi, puis cherchant refuge dans des habitats dispersés de hauteur, ces farouches guerriers sont insaisissables. Un changement de tactique s’impose pour les Romains, qui vont inventer alors la légion manipulaire. Un manipule est une subdivision de la légion, d’environ 150-200 hommes, plus souple et autonome dans ses manoeuvres que la lourde phalange monolithique. Par petites unités, l’armée romaine répond ainsi plus efficacement à la tactique de guérilla des Samnites, qui n’héstent pas à l’occasion à s’engager avec succès dans des batailles rangées. Les deux peuples s’engageront en définitive dans trois guerres successives très meutrières.

Le pesant clipeus est alors abandonné au profit d’un scutum plus léger, ovale et cintré, recouvert de cuir collé et cousu. Il est renforcé en son centre, sur toute sa hauteur, par une sorte d’épine dorsale (spina) qui le renforce et permet de dévier les coups reçus frontalement. Au milieu, cette spina s’épaissit. L’arrière de cette bosse  est creusé pour pouvoir y loger la main qui tient la poignée horizontale (appellée « manipulus »). Un exemplaire plus tardif de scutum a été retrouvé dans le désert égyptien, dans le Fayoum, dans un état de conservation remarquable dû à l’aridité du climat. Daté du IIe ou Ier siècle avant J.-C., il présente des dimensions impressionnantes : près de 1,30 m de hauteur, pour 0,65 de largeur. Le légionnaire est ainsi très bien couvert lorsqu’il combat, car il lutte finalement seul. Chaque homme est en effet positionné sur une ligne de bataille, mais distant de ses camarades d’environ 1 m, à droite comme à gauche. C’est l’espace jugé nécessaire pour manier ses armes sans être gêné par ses voisins et sans risquer de les blesser. La courbure du scutum est donc enveloppante et protectrice.

Le bouclier du Fayoum présente des traces de piqures sur tout son périmètre, indiquant la couture du cuir sur le plateau de bois, réalisé quant à lui par le collage de fines lattes flexibles, superposées perpendiculairement en trois couches, afin de le rendre souple et résistant. Cette souplesse lui permet d’encaisser les coups sans éclater, en absorbant les ondes de choc. Il est à noter que cet artefact ne comporte aucun ajout de pièces de renfort métallique : umbo central ou bordure périphérique (orle). Ces accessoirs ne devaient donc pas être uniformément adoptés, à moins que seuls les plus riches légionnaires pouvaient se permettre cette dépense. En effet, et jusqu’à la fin du IIe siècle avant notre ère, ce sont les soldats qui achètent leur équipement, dont l’importance varie donc selon la fortune de chacun. L’historien grec Polybe en donne une description célèbre, avec des dimensions presque analogues.

Ce type de scutum demeure pratiquement inchangé jusqu’au début de l’Empire. Nous verrons dans un prochain article comment il évolue.

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