Le voyage de Brendan

La plupart des reconstituteurs et des expérimentateurs vivent leurs rêves dans le domaine du raisonnable. Seule une très petite minorité d’entre eux voient plus loin que le simple jeu de se replonger dans le passé, et mettent véritablement leur vie en jeu pour prouver le bien fondé de leur théorie. La reconstitution et l’expérimentation peuvent parfois présenter des risques, ce qui donne une valeur supplémentaire aux connaissances qu’elles permettent d’acquérir. Ainsi en fut-il lorsque Tim Severin décida un beau jour de partir sur les traces de Brendan…

Tim Severin est né aux Indes, en 1940, dans l’Empire de sa très Grâcieuse Majestée. Lorsqu’il était étudiant en licence d’archéologie, à l’inévitable université d’Oxford, il choisit de passer ses vacances en 1961 avec un groupe de camarades à suivre les pas de Marco Polo en Asie… à moto. Leur guide de voyage était les carnets de route du célèbre Vénitien. Sa thèse sera consacrée aux premiers voyageurs européens en Asie centrale aux treizièmes et quatorzièmes siècles. Cette aventure historique et humaine marqua à ce point le jeune Severin, qu’il récidiva toute sa vie durant en se lançant corps et âmes dans des projets aussi fous que passionnants. L’année suivante, il refit le périple de Genghis Khan, en vivant et se déplaçant comme les bergers mongols. En 1967, il remonta le Mississipi en canoë.

Dix ans plus tard, son projet fut de refaire le voyage du moine irlandais Brendan, parti durant 7 ans à la recherche du paradis, et connu par un texte latin (Navigatio Sancti Brendani Abbatis) écrit vers 800 apr. J.-C. Son but était de prouver que celui-ci était basé sur des faits authentiques, et pas uniquement légendaires. Au VIe siècle, Brendan traversa en effet l’Antlantique et rejoignit Terre Neuve. Mais cette histoire fut jugée comme une affabulation et sera mise à l’index par l’Eglise.

Pour refaire le voyage dans les mêmes conditions, Tim Severin fit reconstruire un bateau typique de l’époque – un curragh -, en utilisant les mêmes outils qu’à l’époque. La coquille de noix faisait 36 pieds de long, recouverte de 49 peaux de boeufs, étanchéifiées avec de la graisse, et pourvue de deux mats en chêne irlandais. Autant dire que la fragilité du bateau n’était pas complètement rassurante, et qu’un incident dans l’Atlantique nord pouvait conduire ses occupants directement et définitivement au fond des eaux froides.

Ce nouveau voyage de Brendan les conduisit sur 4.500 milles, de l’Irlande à l’île de Peckford, à Terre-Neuve, en passant par les Hebrides et l’Islande. Il permit d’identifier plusieurs des éléments légendaires de l’histoire : l’île des moutons, le « paradis des oiseaux », les  » piliers de cristal », ainsi que « la terre promise ». Cette aventure fut racontée dans un livre qui devint un best-seller mondial, traduit en 16 langues. Plusieurs années plus tard, les archéologues retrouvèrent en Amérique des traces de présence irlandaise et notamment des pierres oghamiques, recouverte d’une écriture gaélique  inventée par les Irlandais au début de l’ère chrétienne et abandonnée ensuite après l’introduction du latin.

Be Sociable, Share!