Machine de guerre reconstituée : la manubalista de Xanten

À l’école des ingénieurs hellénistiques, les Romains ont appris l’art de mener des sièges (poliorcétique) et s’en sont fait une spécialité. La littérature romaine fourmille d’histoires de villes investies après d’impressionnants travaux. “Un travail de Romain” est une expression qui trouve ici tout son sens. Lorsque l’assaut est préféré au blocus, les terrassiers construisent une immense rampe d’accès pour tracter  des tours (hélépoles) qui peuvent mesurer jusqu’à trente mètres de hauteur. Une fois adossées aux remparts, un pont-levis s’abaisse pour permettre aux légionnaires de déferler par-dessus les créneaux. Un autre mode d’investissement consiste à ouvrir une brèche dans la muraille. Les assaillants utilisent alors un “bélier” : une poutre énorme terminée par une tête de bélier en fer, suspendue à une armature et actionnée comme un balancier pour défoncer portes et murs. Pourtant, celles qui nous impressionnent le plus aujourd’hui, sont les machines qui lancent des projectiles : flèches ou pierres. Intéressons-nous à la plus petite d’entre elles.

Sous la direction de gradés spécialisés (comme le ballistarius), les Romains emploient deux types de machines – catapultes et balistes – appelées indistinctement tormenta, du fait que la propulsion est effectuée par des faisceaux de cordages faits de tendons d’animaux tressés, ou à défaut de crins de cheval (parfois même de cheveux de femme). Certaines lancent des flèches de différents calibres, d’autres des pierres pouvant peser jusqu’à 45 kg. Seule la légion dispose d’artillerie ; les cohortes auxiliaires en sont dépourvues.

Grâce aux découvertes archéologiques et aux écrits de Héron d’Alexandrie et de Vitruve (ce dernier commanda l’artillerie de César), des reconstitutions ont pu être tentées au début du XXe siècle, qui ont permis de tester leur efficacité. Ainsi, le “scorpion” – sorte de grosse arbalète juchée sur pied, décochant des flèches d’une soixantaine de centimètres -, s’avère capable de percer une planche de deux centimètres d’épaisseur à trois cent cinquante mètres de distance. Les expériences ont également démontré l’extrême précision et régularité des tirs. D’après le récit de Flavius Josèphe, nous savons qu’une pierre emporta à trois stades de là (environ 550 m) la tête d’un homme qui combattait sur le mur.

Celle qui nous intéresse aujourd’hui est un modèle réduit du scorpion, dont seul le cadre a été retrouvé, près du camp romain de Xanten en Allemagne (l’antique Castra Vetera). A première vue, l’artefact présente toutes les caractéristique du scorpion décrit par Vitruve, mais à une échelle beaucoup plus réduite. Il faut exclure l’idée qu’il s’agisse d’un jouet, vue la complexité et la fragilité des mécanismes. C’est bien une machine de guerre, que certains identifient à une manubalista : une « baliste à main ».

Plusieurs reconstitutions ont été tentées de ce scorpion portatif, avec des mécanismes d’armement différents. Cette partie de la machine ayant disparu, sa reconstitution est laissée à l’imagination du reconstituteur. Un groupe allemand a imaginé aussi une extrémité munie d’un arceau pour loger l’épaule, afin d’épauler l’arme comme un fusil et lui donner plus de précision durant le tir.

L’engin n’en reste pas moins lourd, et déséquilibré par le poids du cadre entièrement porté sur l’avant. Tenir cette arme et viser juste s’avère donc compliqué, pour une efficacité aléatoire. D’autres chercheurs ont donc préféré  imaginer que cette manubalista se posait sur un trépied, exactement comme un scorpion ou une baliste, afin de lui donner plus de stabilité. Elle pouvait être ainsi transportée à la main, et mise en batterie très rapidement à des endroits stratégiques, exactement comme une mitrailleuse aujourd’hui, avec sans doute un autre servant transportant le pied. Ce type de machine pouvait s’avérer judicieusement embarqué par exemple sur les vaisseaux de la flotte du Rhin patrouillant sur le fleuve, mais aussi positionné sur les murs des camps.

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